yeux éblouis

un océan de brumes
les vagues grises se déroulent
les unes sur les autres

les arbres ruissellent de cuivre d’ocre
de toutes les nuances d’automne
verts attendris sapin ou bronze

bouton d’or paille ambre
noisette rouille ombre
ocre brûlé lie de vin

la nature chantonne les couleurs
qui changent s’envolent et virevoltent
comme des lucioles endimanchées

l’automne et ses feuilles vivent et
dansent au son des nuages
des vents contraires violents ou sournois

la terre entière est une ronde de
feuilles aux tons ocres le cadeau
dune vie d’une année pour les yeux éblouis

j’ai voulu cueillir les étoiles
et j’ai été happée par l’ombre
c’est là que j’ai rencontré la poésie

– Emmanuelle de Dardel

mystère

mystère

dans l’éblouissement du monde
garder les yeux purs
oser voir et entendre
ce qu’ils refusent
malgré les griffons
les fêlures sans fin

brisures
obscurs
opaques
l’apathie
l’inertie
quand tout est nuit

ouvrir les yeux et les mains
étoiler les trahisons
chanter la mélodie du soleil
voltiger les voies lactées
dans l’ombre des jours à venir
la mort est pour plus tard
la mort est pour jamais

Emmanuelle de Dardel

©️

impuissance 

on ne sait pas quoi faire à gaza
alors on ne fait rien on regarde sans agir
on est impuissants
devant l’injustice la mort le génocide l’holocauste
depuis quatre-vingts ans

on ne sait pas quoi faire pour Gaza
alors on oublie on laisse couler on glisse le problème sous le tapis on ferme les yeux

on espère que d’autres agiront la vie continue pour nous et la vie s’arrête pour eux les civils et les enfants meurent sous les bombes

que dirons-nous à nos enfants quand nous devrons leur expliquer l’holocauste à Gaza ces cinquante mille morts combien d’enfants morts à la guerre combien d’enfants-poètes combien d’enfants aux vies soufflées

– Emmanuelle de Dardel

aux enfants de là-bas

combler ses blessures invisibles
avec les étoiles              du temps
celles qui sont immuables
les rares qui brillent encore
comme des yeux           d’enfants
aux rêves qui survivent
aux guerres et à la mort
des grands yeux            d’enfants
tristes de déjà                mourir 

– Emmanuelle de Dardel

La lune rouge, Alice de Chambrier

C’est le soir ; la bataille est enfin terminée :
Le vaincu s’est enfui, le vainqueur est lassé,
Et la fleur du pays, en un jour moissonnée,
Jonché tous les replis du sol dur et glacé.

Ils sont là tout raidis et la tête inclinée,
Adolescent joyeux, d’une balle percé,
Homme fort et vaillant, cohorte infortunée
Qui n’a pas reculé quand la mort a passé.

Et, sous un autre ciel, un vieillard solitaire,
Las d’avoir travaillé tout le jour à la terre,
Respire le vent frais qui le baise en passant ;

Il regarde pensif le grand ciel qui rayonne
Plein d’un ruissellement d’étoiles, et s’étonne
Que la lune soit rouge et paraisse de sang…

Bevaix, 12 septembre 1881

Alice de Chambrier, Au delà, Poésies, Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, 1934 (7e édition)

[ 1861 – 1882 ]