Inspirations poétiques

Femme de lettres romande, Mousse Boulanger s’est éteinte à 96 ans, article de la RTS

“C’est tout à fait injuste, mais dans mon pays, la Suisse, une femme trouve plus difficilement sa place et sa reconnaissance. Ajoutez-y ma passion vitale: la poésie, et on aura tout dit. Alors, permettez-moi de vous dire, à titre posthume, deux ou trois choses sur ma vie, non pas mon œuvre, pourtant très abondante, mais ce que j’ai réalisé avec les mots pour célébrer le monde et honorer les mots des autres. Et puis n’oublions pas la radio, l’émetteur de Sottens, puis Radio Suisse Romande où j’ai éveillé durant des décennies les auditeurs à la poésie avec mon complice et mon époux, Pierre Boulanger, dont j’ai adopté le pseudonyme.”

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La lune rouge, Alice de Chambrier

C’est le soir ; la bataille est enfin terminée :
Le vaincu s’est enfui, le vainqueur est lassé,
Et la fleur du pays, en un jour moissonnée,
Jonché tous les replis du sol dur et glacé.

Ils sont là tout raidis et la tête inclinée,
Adolescent joyeux, d’une balle percé,
Homme fort et vaillant, cohorte infortunée
Qui n’a pas reculé quand la mort a passé.

Et, sous un autre ciel, un vieillard solitaire,
Las d’avoir travaillé tout le jour à la terre,
Respire le vent frais qui le baise en passant ;

Il regarde pensif le grand ciel qui rayonne
Plein d’un ruissellement d’étoiles, et s’étonne
Que la lune soit rouge et paraisse de sang…

Bevaix, 12 septembre 1881

Alice de Chambrier, Au delà, Poésies, Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, 1934 (7e édition)

[ 1861 – 1882 ]

Délivrances, Toni Morrison

“C’était vraiment une détraquée. Sofia Huxley. Le changement éclair de l’ex-taularde docile en alligator furieux. Des babines pendantes en crocs. De la chiffe molle en marteau. Je n’ai pas vu le signal : pas de plissement d’yeux ni de mains qui serraient des collets, pas de flexion d’épaule ni de lèvre retroussée qui découvrait des dents. Rien n’annonçait son attaque contre moi. Je ne l’oublierai jamais, cette attaque, et quand bien même j’essaierais, les cicatrices, sans parler de la honte, ne me le permettraient pas.

Ce qu’il y a de pire, dans la guérison, c’est la mémoire. Je reste allongée toute la journée sans rien avoir d’urgent à faire. Brooklyn s’est chargée des explications au personnel du bureau : tentative de viol, déjouée, bla-bla-bla. C’est une véritable amie et elle ne m’embête pas comme ces fausses copines qui viennent ici juste pour zieuter et me plaindre. Je ne peux pas regarder la télévision, elle est tellement barbante : en gros, du sang, du rouge à lèvres et l’arrière-train des présentatrices. Ce qui passe pour des infos, c’est soit des ragots, soit un catalogue de mensonges. Comment est-ce que je peux prendre au sérieux des séries policières dans lesquelles des tueurs sont traqués par des femmes flics perchées sur des talons Louboutin ?”

Toni Morrison, Délivrances, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2015, p. 41 (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Laferrière)

Toni Morrison (1931-2019) est la 8e femme à avoir reçu le Prix Nobel de littérature en 1993. 

Jeanne chante ; elle se penche, Victor Hugo

Jeanne chante ; elle se penche
Et s’envole ; elle me plaît ;
Et, comme de branche en branche,
Va de couplet en couplet. 

De quoi donc me parlait-elle ?
Avec sa fleur au corset,
Et l’aube dans sa prunelle,
Qu’est-ce donc qu’elle disait ? 

Parlait-elle de la gloire,
Des camps, du ciel, du drapeau,
Ou de ce qu’il faut de moire
Au bavolet d’un chapeau ? 

Son intention fut-elle
De troubler l’esprit voilé
Que Dieu dans ma chair mortelle
Et frémissante a mêlé ? 

Je ne sais. J’écoute encore.
Etait-ce psaume ou chanson ?
Les fauvettes de l’aurore
Donnent le même frisson. 

J’étais comme en une fête ;
J’essayais un vague essor ;
J’eusse voulu sur ma tête
Mettre une couronne d’or, 

Et voir sa beauté sans voiles,
Et joindre à mes jours ses jours,
Et prendre au ciel les étoiles,
Et qu’on vînt à mon secours !

J’étais ivre d’une femme ;
Mal charmant qui fait mourir.
Hélas ! je me sentais l’âme
Touchée et prête à s’ouvrir ;

Car pour qu’un cerveau se fêle
Et s’échappe en songes vains,
Il suffit du bout de l’aile
D’un de ces oiseaux divins. 

21 juin 1859

Victor Hugo, Les chansons des rues et des bois, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 103

[ 1802 – 1885 ]

A propos

Je m'appelle Emmanuelle et j'aide les gens à se valoriser grâce à leurs écrits. Peut-être parce que j'ai passé ma vie à chercher pourquoi il est nécessaire de choisir les bons thèmes et les bons mots pour se définir. Il se trouve que c'est aussi le travail du poète : choisir les mots qui parlent à l'âme.

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