Inspirations poétiques

Poésie du dimanche (15) : Intermède réflexif

Poésie du dimanche (15) : Intermède réflexif

1. « La poésie contemporaine » n’a pas d’unité, pas de poétique, c’est entendu. Cela n’a donc, peut-être, pas de sens de parler de « la » poésie contemporaine. On le fait par commodité, comme synonyme de « ce qui se publie aujourd’hui et s’achète au rayon poésie ». 2. Poésie contemporaine : un ensemble de lignes qui partent dans tous […]

Poésie du dimanche (15) : Intermède réflexif
si j’en

si j’en

si j’en-
chaîne les mots
c’est pour briser
mes propres chaînes
j’écris
à seule fin
de recueillir
tous mes
débris
d’unir
le feu
et l’eau
j’écris à main
levée les yeux
fermés
à perdre haleine
en aval en
amont
j’attise mon brasier

Vahé Godel, in La poésie en Suisse romande depuis Blaise Cendrars, Paris, Anthologie Seghers, 2005

Pour lire l’article à propos de cet auteur dans le dictionnaire historique de la Suisse https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/007902/2004-12-03/

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La terre qui danse

Quand je danse, danse en tournant,
Les marronniers rient de ma danse,
Mais je vois au bout d’un moment
Les marronniers qui vont dansant.

Les pommiers font des révérences,
Les bouleaux quittent le verger,
Les voilà dans le ciel léger,
Moi, je danse, danse en cadence.

La maison penche et se balance,
La fontaine court, le pré vert
Grimpe dans un nuage clair!
Toute la terre danse, danse,

Toute la terre est à l’envers!

Emilia Cuchet-Albaret (1881-1962), in Poètes de Suisse romande, Lausanne, Ed. Rencontre, 1964

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L’inconstant

L’inconstant

Mes yeux s’en sont allés
derrière une brunette
qui passait.

Était de nacre noire,
était raisin violet.
De sa traîne de feu
elle a fouetté mon sang.

Après toutes les filles
je vais toujours ainsi.

Une blonde est passée
telle une plante d’or
en balançant ses charmes.
Et ma bouche s’est faite
vague qui s’en allait
décharger des éclairs
de sang sur sa poitrine.

Après toutes les filles
je vais toujours ainsi.

Mais vers toi, sans bouger,
sans te voir, ma lointaine,
mon sang, mes baisers volent,
ma brunette et clairette,
ma grande et ma petite,
ma vaste et ma menue,
ma jolie laideronne,
faite de tout l’argent
et faite de tout l’or,
faite de tout le blé
et de toute la terre,
faite de toute l’eau
des vagues de la mer,
faite pour mes deux bras,
faite pour mes baisers,
faite, oui, pour mon cœur.

Pablo Neruda, Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée, Poésie/Gallimard, 1998

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Fugacité DLXXXVII

Fugacité DLXXXVII

Photo Julie

au sommet de nous il y a

l’audace du vent la peau du ciel

les plumes que l’on risque pour des mots

l’oiseau frivole qu’on idolâtre parce qu’il nous ramène tous les soleils

et puis la note que nous tenons tant bien que mal ensemble

et ça va vif sur le cœur qui veille ce bec tendu toujours

vers ce qui porte plus haut


Barbara Auzou

Lireditelle.wordpress.com

La vie profonde

Être dans la nature ainsi qu’un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l’orage,
La sève universelle affluer dans ses mains !

Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l’espace !

Sentir, dans son cœur vif, l’air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre ;
– S’élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l’ombre qui descend.

Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du cœur vermeil couler la flamme et l’eau,
Et comme l’aube claire appuyée au coteau
Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise…

Anna de Noailles

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Lettre ouverte

Lettre ouverte

Cher Monsieur Jean S.,

Permettez-moi de vous adresser cette lettre ouverte. Aujourd’hui, nous apprenons qu’une poétesse a reçu le Prix Nobel de littérature 2024. J’emploie à dessein le mot poétesse, qui désigne le poète de sexe féminin. Lorsque nous nous sommes rencontrés, lors de votre conférence sur les poètes francophones, en février 2024, j’ai lu votre feuille de route et vous ai dit doucement : « il n’y a pas beaucoup de femmes ». Ce à quoi vous m’avez répondu : « oh vous savez, il n’y a pas beaucoup de femmes qui écrivent de la poésie« .

Cela fait plus de 6 mois et j’en reste profondément indignée. L’humanité compte autant d’hommes que de femmes pourtant et cela fait longtemps que les femmes sont actives dans le monde. Nous sommes ingénieures, conductrices, banquières, professeures… Et nous écrivons aussi. Beaucoup de poétesses ont laissé des poèmes aussi inoubliables que ceux de Baudelaire et Rimbaud.

Connaissez-vous Pernette du Guillet, Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore, Madame Ackermann, Catherine Pozzi ? Elles figurent dans l’Anthologie de la poésie française, d’André Gide, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard, 1949. 5 poétesses pour 72 poètes. C’est à peu près le même ratio pour les Prix Nobel de littérature.

Pourtant le monde littéraire foisonne de poésies composées par des femmes. Andrée Chedid en fait partie. Il y en a beaucoup d’autres, dont les noms sont malheureusement moins connus, occultées par ce je ne sais quoi, cette idée qu’une poétesse est moins douée qu’un poète. Alors de grâce, la prochaine fois que vous parlerez poésie, parlez aussi des poétesses. Les petites filles du monde entier vous souriront – qu’elles soient vos filles, vos petites-filles ou qu’elles vous soient étrangères. Et un sourire vrai vaut toutes les poésies.

Emmanuelle de Dardel

Edit : Merci à Marie-Eve Tschumi pour son article édifiant sur l’attribution des Prix Nobel.

NB. Prenez un moment pour lire un de mes poèmes préférés, de Sylviane Dupuis, une poétesse contemporaine.

Allégorie du poète

Tel l’empereur, chimérique

collectionneur d’emblèmes,

il se fabrique un jardin

de mots

pour y déverser l’univers

et désignant du doigt

l’invisible,

veille à l’occulte alternance

de l’eau, de la fange et

du ciel.

Sylviane Dupuis

Han Kang, Prix Nobel de littérature 2024, librairie Mollat, https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Han_Kang_-_2017.png