Les hirondelles

Déjà les hirondelles qui volètent au-dessus de nos têtes. La lune rousse et pleine nous fait des clins d’œil par-delà l’horizon. Elle aime se refléter dans les vaguelettes sans fin du lac. Des miroirs par milliers sur les vagues qui scintillent pour répondre aux étoiles. Un chemin de lumière tracé jusqu’à nous. Une mosaïque dorée qui s’illumine sur l’eau. Les hirondelles sont toujours là, elles volètent en silence, calmes et concentrées, attentives aux présences tout en étant discrètes. Elles écrivent des poèmes d’amour dans le ciel bleu crépuscule. Peut-être que ce sont tes mots ? Nul ne le saura, tu t’es effacé il y a si longtemps. Le monde a changé sans moi, depuis ton départ.

– Emmanuelle de Dardel

l’autre lune

leurs âmes se reflètent

l’une l’autre

l’autre lune

l’une pour l’autre

l’autre avec l’une

l’âme du monde se reflète

dans le miroir de toi

dans le lac

en un scintillement

de mille gouttes d’or

sur la place des lumières

– Emmanuelle de Dardel

©️✍️

attraper la lumière

attraper la lumière

des rayons de vie

de la lune qui veille

des étoiles endormies

qui ont allumé leurs rires

et leur étincelle immortelle

puis celle de tes yeux

quand tu te dévoiles

que tu laisses ton âme

parler sans un mot

en chuchotant je t’aime

dans la lueur de la nuit

Emmanuelle de Dardel

Don Juan

J’ai rencontré Don Giovanni

L’homme blasé par excellence

Celui qui vous dit je t’adore

Quand il vous séduit

Puis qui disparaît sans un mot

Une fois sa conquête éprise

J’ai rencontré Don Giovanni

L’homme lâche par définition

Celui qui vous captive

Quand il vous invite

Puis qui ne sait plus parler

Une fois qu’il est trop occupé

J’ai rencontré Don Giovanni

Le séducteur par défaut

Celui qui vous promet la lune

Quand il est avec vous

Puis qui s’évapore sur un autre continent

Une fois qu’il est blasé

J’ai rencontré Don giovanni

L’homme cultivé en apparence

Celui qui vous complimente

Quand il vous pourchasse

Puis qui critique tout et tout le monde

Une fois qu’il se sent libre

J’ai rencontré Don Giovanni

L’homme qui manipule même les pierres

Celui qui vous admire sans retenue

Les tous premiers jours

Puis qui vous regarde avec mépris

Une fois qu’il est lassé

J’ai rencontré Don Juan

L’homme qui ne vit que de liaisons

Celui qui ne pense qu’à son plaisir

Et qui n’a même jamais connu le mot amour

Puis qui vous ignore royalement

Comme si vous n’aviez jamais existé

Emmanuelle de Dardel

La lune rouge, Alice de Chambrier

C’est le soir ; la bataille est enfin terminée :
Le vaincu s’est enfui, le vainqueur est lassé,
Et la fleur du pays, en un jour moissonnée,
Jonché tous les replis du sol dur et glacé.

Ils sont là tout raidis et la tête inclinée,
Adolescent joyeux, d’une balle percé,
Homme fort et vaillant, cohorte infortunée
Qui n’a pas reculé quand la mort a passé.

Et, sous un autre ciel, un vieillard solitaire,
Las d’avoir travaillé tout le jour à la terre,
Respire le vent frais qui le baise en passant ;

Il regarde pensif le grand ciel qui rayonne
Plein d’un ruissellement d’étoiles, et s’étonne
Que la lune soit rouge et paraisse de sang…

Bevaix, 12 septembre 1881

Alice de Chambrier, Au delà, Poésies, Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, 1934 (7e édition)

[ 1861 – 1882 ]