articles analytiques

Pourquoi écrire ?

C’est en écrivant que je comprends mieux le monde. Je réfléchis à chaque mot et chaque conséquence. Les actions des autres et mes actions propres sont plus claires. Écrire aide à affiner ses pensées et ses actions, imbriquées les unes dans les autres. La forme importe peu tant que j’avance, que j’aime ce que je crée, que je produis du sens.

Et je m’appuie aussi bien sur les auteurs et autrices du passé que sur ceux et celles d’aujourd’hui. Ils et elles apportent des savoirs complémentaires. L’historique est aussi important que le présent et le futur. C’est en réfléchissant et en écrivant à la fois sur les écrits du passé, du présent, que je peux enrichir mon savoir, mes textes et mon âme. Écrire c’est comprendre et agir.

– Emmanuelle de Dardel

De la poésie

La poésie n’a pas comme seuls buts d’offrir de jolis vers et de belles paroles qui vous portent tout au long d’une journée compliquée ou quand vous perdez de vue vos objectifs de vie. Elle cherche aussi à vous faire vous remettre en question, à vous montrer qu’il y a plusieurs réponses souvent auxquelles vous n’aviez pas pensé, voire même aucune réponse satisfaisante à vos questionnements.

Et la poésie difficile, négative et noire tente de vous rappeler que la vie n’est pas faite que de positif, qu’il faut accueillir les parts sombres, pour les dépasser. Mettre au jour l’inconscient aussi. Ce processus est impossible si l’on ne s’attache qu’aux aspects lumineux. C’est le travail des poètes que de parler de tout, même et surtout de ce qu’on refuse de voir en face.

La poésie n’est pas réservée qu’aux hommes – même si cela l’a été les siècles passés. On ne compte plus les grands poètes francophones : Hugo, Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Claudel (qui a abandonné sa soeur Camille, la sculptrice, dans un hôpital psychiatrique pendant 30 ans et jusqu’à sa mort), Mallarmé, Prévert, Ponge, Jaccottet, Bonnefoy… On les cite même de tête, tant on les aime.

Qui sont les poétesses que l’on cite de tête ? Il y en a bien quelques-unes dont les oeuvres nous sont parvenues, mais on les étudie peu à l’école et à l’université. De ce fait, on les connaît moins. C’est toute la différence. Les poètes célèbres, on les connaît par cœur. Les poétesses célèbres, on doit réfléchir pour ne se souvenir ne serait-ce que de leur nom. Je vous mets au défi de me citer les vers d’une poétesse célèbre.

De plus, on a tendance à lier la poésie féminine avec des vers positifs uniquement, car on voudrait que les femmes et les poétesses restent dans leur rôle acquis d’accompagnement, d’aide et de soutien. C’est alors qu’elles se libèrent et écrivent aussi de la poésie. Elles écrivent de la poésie libre – dont les vers ne riment pas à dessein – pour s’émanciper des règles de la poésie classique, mais aussi des règles qui leur imposées par une société qui a longtemps été dominée par les hommes. Les féministes qui valorisent les rapports équitables entre femmes et hommes – dont je suis – se battent pour faire entendre leur voix.

Cela produit un étrange état de faits qui permet de valoriser encore davantage les poètes au détriment des poétesses.

Emmanuelle de Dardel

Titulaire de deux demi-licences de langue et littérature françaises médiévales et de linguistique et sciences du langage (2005), ainsi qu’un bachelor d’enseignante primaire, sanctionné par un mémoire professionnel sur les normes dans l’enseignement (pourquoi il est difficile de déconstruire ce qu’on a toujours fait « comme ça » – le genre de sujet qu’on évite).

Lettre ouverte

Lettre ouverte

Cher Monsieur Jean S.,

Permettez-moi de vous adresser cette lettre ouverte. Aujourd’hui, nous apprenons qu’une poétesse a reçu le Prix Nobel de littérature 2024. J’emploie à dessein le mot poétesse, qui désigne le poète de sexe féminin. Lorsque nous nous sommes rencontrés, lors de votre conférence sur les poètes francophones, en février 2024, j’ai lu votre feuille de route et vous ai dit doucement : « il n’y a pas beaucoup de femmes ». Ce à quoi vous m’avez répondu : « oh vous savez, il n’y a pas beaucoup de femmes qui écrivent de la poésie« .

Cela fait plus de 6 mois et j’en reste profondément indignée. L’humanité compte autant d’hommes que de femmes pourtant et cela fait longtemps que les femmes sont actives dans le monde. Nous sommes ingénieures, conductrices, banquières, professeures… Et nous écrivons aussi. Beaucoup de poétesses ont laissé des poèmes aussi inoubliables que ceux de Baudelaire et Rimbaud.

Connaissez-vous Pernette du Guillet, Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore, Madame Ackermann, Catherine Pozzi ? Elles figurent dans l’Anthologie de la poésie française, d’André Gide, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard, 1949. 5 poétesses pour 72 poètes. C’est à peu près le même ratio pour les Prix Nobel de littérature.

Pourtant le monde littéraire foisonne de poésies composées par des femmes. Andrée Chedid en fait partie. Il y en a beaucoup d’autres, dont les noms sont malheureusement moins connus, occultées par ce je ne sais quoi, cette idée qu’une poétesse est moins douée qu’un poète. Alors de grâce, la prochaine fois que vous parlerez poésie, parlez aussi des poétesses. Les petites filles du monde entier vous souriront – qu’elles soient vos filles, vos petites-filles ou qu’elles vous soient étrangères. Et un sourire vrai vaut toutes les poésies.

Emmanuelle de Dardel

Edit : Merci à Marie-Eve Tschumi pour son article édifiant sur l’attribution des Prix Nobel.

NB. Prenez un moment pour lire un de mes poèmes préférés, de Sylviane Dupuis, une poétesse contemporaine.

Allégorie du poète

Tel l’empereur, chimérique

collectionneur d’emblèmes,

il se fabrique un jardin

de mots

pour y déverser l’univers

et désignant du doigt

l’invisible,

veille à l’occulte alternance

de l’eau, de la fange et

du ciel.

Sylviane Dupuis

Han Kang, Prix Nobel de littérature 2024, librairie Mollat, https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Han_Kang_-_2017.png

Les poétesses existent !

Quelques paroles pour invisibiliser les femmes en littérature, entendues ici et là, en 2023-2024 :

– une femme du 3e âge dans une librairie :
« Oh mais y’en a marre de toutes ces femmes écrivains contemporaines, on veut des hommes, des valeurs sûres, comme avant. »
– un homme au cours d’une conférence :
« Oh vous savez, il n’y a pas beaucoup de femmes qui écrivent de la poésie. »
– un libraire :
« J’ai très peu de livres de poétesses car c’est peu demandé. »

Pourtant il y a de nombreuses écrivaines francophones reconnues. Marie Darrieussecq, Katherine Pancol, Simone de Beauvoir, Colette, Isabelle Eberhardt, Marguerite Yourcenar, Agota Kristof, Christine Arnothy, Andrée Chedid, Julia Kristeva, Nancy Huston…

Et voici quelques noms de poétesses en langue française au fil du temps. Christine Pizan, Marie de France, Louis Labé, Mousse Boulanger, Alice de Chambrier, Marceline Desbordes-Valmore, George Sand, Anna de Noailles, Cécile Coulon…

Vous voulez m’aider à compléter la liste ? Écrivez les noms de vos écrivaines et poétesses francophones favorites dans les commentaires.

Et puis les écrivaines de langue étrangère sont bienvenues aussi : #aldamerini #emilydickinson #maryshelley…

Et si vous êtes vous-mêmes poétesse, mettez un lien à votre blog ou réseau social dans les commentaires.

#ecrivains #ecrivaines #poètes #poétesses #littératurefrancaise #invisibilisation #femmes #femme #droitdesfemmes

Des poétesses

Sitôt dit sitôt fait, maintenant qu’elle a rassemblé sa bibliothèque de poésie en un seul endroit, puis qu’elle a classé ses livres par genre d’auteur, elle a bien pris conscience du fait que les poétesses sont rares. Depuis qu’elle écoute son intuition de manière plus franche, elle n’est pas déçue. Au contraire, son monde est secoué dans tous les sens.

Cette intuition ne va que rarement dans le sens convenu. Elle n’est ni agréable, ni facile à suivre. C’est comme ça qu’elle sait qu’elle doit l’écouter. Pour sortir de sa zone de confort, comme ils disent. Plutôt pour découvrir d’autres aspects et avancer en conscience (rattraper son retard diraient les mauvaises langues, bien trop nombreuses à son goût, n’ont-elles rien d’autre à faire ?). Et quand elle ne l’écoute pas, les mots reviennent danser dans sa tête, jusqu’à ce qu’elle agisse.

C’est comme ça qu’elle a décidé de rassembler ses livres de poésie. Son intuition lui disait tout à coup qu’il fallait le faire. Elle se souvenait aussi de cette écrivaine, Marie-Eve Tschumi, organisatrice d’un sommet d’écriture pour femmes, qui disait qu’il n’y avait que très peu de Prix Nobel attribués aux femmes : 16 pour 101 hommes.

Elle fait un rapide calcul, les hommes primés sont 6 fois plus nombreux. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, pas besoin d’épiloguer. Elle réfléchit à ce qu’un bouquiniste lui a dit : “peut-être que c’est parce que les femmes écrivent moins de poésie ?” Ou peut-être qu’elles peinent à se faire accepter en tant qu’auteures ? Tout simplement parce que ce sont des femmes ?

Elle en a le cœur déchiré et les mains qui tremblent. D’ailleurs, elle a beau chercher, il ne lui vient que peu de noms de poétesses en tête, mis à part les classiques comme Louise Labé ou Alice de Chambrier – fait amusant, elle habite face à la rue qui porte le nom de cette poétesse, dans son village de Bevaix.

Tous ses livres de poésie sont majoritairement ceux qu’elles a achetés durant ses études à l’Université, agrémentés par ses trouvailles au fil du temps. Ce sont de grands auteurs reconnus et publiés par la prestigieuse maison d’édition Poésie / Gallimard. Hugo, un de ses auteurs préférés. Baudelaire et Rimbaud. Nelligan, qu’elle a découvert il y a peu, le Camille Claudel de la poésie. D’ailleurs Camille est la sœur du poète Paul Claudel. Singuliers destins d’un poète admis à l’Académie française et de sa sœur sculptrice de génie, internée contre son gré les 30 dernières années de sa vie et rejetée par sa famille.

Elle s’égare dans les méandres de sa pensée et de ses préoccupations. Revenons à son programme du jour : passer chez les bouquinistes pour trouver des livres de poétesses. Et flâner un peu en ville, peut-être, à la recherche de ces brins de nouveautés qui éclairent l’existence, comme des petits bouts de laine rouge entre les gens, qui tissent une jolie écharpe de rencontres en rencontres, à chaque fois que l’on se dévoile un peu davantage.

Tiens, sa boutique du livre préférée est ouverte, à la Rue des Chavannes. Pendant longtemps, cette échoppe a été tenue par une femme. Elle aimait bien s’y rendre et trouver des trésors littéraires inattendus. Depuis peu (on parle d’années malgré tout), c’est un homme qui a repris l’affaire et qui l’anime de manifestations littéraires toutes plus colorées les unes que les autres. C’est frais et ça redonne vie à une littérature parfois un peu oubliée. Un poète qui déclame, un écrivain qui lit, c’est peut-être aussi ça l’avenir de la littérature.

Quand on pénètre à l’intérieur, on a l’impression d’entrer dans une caverne d’Ali Baba littéraire. On franchit la porte et on se retrouve dans un très long couloir rempli d’étagères de part et d’autre. Des murs-étagères ou des étagères qui sont devenues des murs, on ne sait plus trop. Bien entendu remplies de livres de tous les genres, cela va de soi, on hésite presque à le dire. La poésie se trouve au début à gauche en entrant, une place de choix.

C’est un peu sombre et cela ajoute encore au mystère de la découverte des livres peu ou moins courants. Quand on parvient au centre névralgique, il y a encore 2 salles pleines de livres. Que de fois n’y a-t-elle pas attrapé un ouvrage oublié ou jamais lu. Elle sait qu’elle a plus de plaisir à lire un livre déjà aimé (ou détesté peut-être). Elle le sauve et préserve la planète aussi comme ça.

Elle a déniché quelques nouveaux livres de poésie, mais peu de poétesses. C’est vraiment le reflet de la société. Elle decide alors de se rendre dans l’autre boutique de livres, plutôt des anciens et recherchés. Le constat est identique, il faut chercher les poétesses avec une loupe de géant. Elle repart malgré tout avec un joli butin : des recueils de poésie de Mousse Boulanger, Pierrette Micheloud (même le correcteur orthographique pense au masculin et ne connaît ni le mot sculptrice, ni le prénom Pierrette), Francine Clavien et une belle édition de 1934 de la poésie d’Alice de Chambrier.

Emmanuelle de Dardel, 21 05 2023

https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/prix-litteraires/nobel-de-litterature-qui-sont-ces-15-femmes-contre-98-hommes-couronnees-depuis-la-creation-du-prix_4133597.html