Elle se réveille souvent au milieu de la nuit, les idées qui galopent littéralement dans sa tête, comme les aubes d’un bateau à vapeur. Cela s’améliore doucement, elle ne se réveille plus à 2h tapantes, mais à 3h30, l’heure à laquelle le livreur de journaux passe en boguet électrique – quel nom ridicule – dans sa rue, chaque nuit. Pourtant, elle ferme sa fenêtre précautionneusement le plus souvent, mais rien n’y fait. Les « beaux » restes d’une vigilance accrue.
L’idée galopante du jour est cet homme croisé il y a quelques heures, au fil de l’eau. Sur le moment, elle ne l’a pas reconnu de suite. Sa tête lui disait quelque chose. Ils s’étaient rencontrés il y a 2 ans. Elle s’est retournée, l’a regardé sautiller comme un cabri sur ce sentier de montagne ultra dangereux en étant quelque peu indignée. Elle l’a admiré aussi, ça ne lui arriverait jamais à elle de se transformer en coureuse de montagne. Son passe-temps favori étant l’observation silencieuse. Les barrières de protection n’ont jamais retenu les corps qui glissent sur la boue détrempée des gorges. Bien entendu, lui ne l’a même pas vue, trop occupé à sa course.
L’homme-cabri a continué ses sauts élastiques sans se douter qu’il était observé. Il était mince comme une brindille, vraiment très mince. Ces sportifs de l’extrême sont parfois aussi légers que des adolescents nerveux qui ne tiennent pas en place. Dans le cas qui nous occupe, au détour d’une facétie du sentier creusé dans la roche par l’eau des gorges, elle se souvient tout à coup de cet homme. Il a 4 enfants et est en train de divorcer. Selon ses dires, son mariage n’a jamais fonctionné et il est resté pour ses enfants. Tiens, il lui semble avoir déjà entendu ces arguments éculés plus d’une fois. C’est décidément décevant. S’ils savaient à quel point elle est fatiguée d’entendre les mêmes vieilles rengaines à tous les coins de rue, et même au détour de sa mémoire, dans un sentier de montagne glissant… Mais non, personne ne devine que les idées glissent aussi dans sa tête, aussi vite que les gouttes d’eau sont nombreuses quand il pleut à verse.
Revenons à cet homme. Elle est contente de lui avoir manifesté qu’elle n’avait aucune envie de devenir marâtre de 4 enfants d’un mariage malheureux. Sa première expérience de marâtre de 2 enfants qui passent avant tout le reste lui a suffi pour le reste de ses jours. Elle a dû être suffisamment claire et peu engageante d’ailleurs, car il ne l’a jamais rappelée. A ce moment-là, elle se dit que le destin a bien fait les choses. Elle n’est pas toujours aussi clairvoyante, loin de là. Depuis quelques temps, elle a déjà constaté que lorsqu’elle laisse les choses se faire comme à leur guise, en observant, cela se passe pour le mieux. Les gens agissent comme bon leur semble, leur vrai caractère est mis en exergue et cela l’aide à prendre ses décisions. C’est sa manière à elle d’analyser les relations humaines, l’air de rien.
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