[…]
Mais, depuis que la nuit s’écroule sur nos têtes,
Ces mots ont dans nos coeurs des accents mystérieux
Et quand un souvenir parfois nous les répète
Nous désobéissons à leur ordre impérieux.
Entendez-vous chanter des voix dans les montagnes
Et retentir le bruit des cors et des buccins ?
Pourquoi ne chantons-nous que les refrains du bagne
Au son d’un éternel et lugubre tocsin ?
Serait-ce pas Don Juan qui parcourt ces allées
Où l’ombre se marie aux spectres de l’amour ?
Ce pas qui retentit dans les nuits désolées
A-t-il marqué les coeurs avec un talon lourd ?
Ce n’est pas le Don Juan qui descend impassible
L’escalier ruisselant d’infernales splendeurs
Ni celui qui crachait aux versets de la Bible
Et but en ricanant avec le Commandeur.
Ses beaux yeux incompris n’ont pas touché les coeurs,
Sa bouche n’a connu que le baiser du rêve,
Et c’est celui que rêve en de sombres ardeurs
Celle qui le dédaigne et l’ignore et sans trêve
Heurte ses diamants froid, ses lèvres sépulcrales,
Sa bouche silencieuse à sa bouche et ses yeux,
Ses yeux de sphinx cruels et ses mains animales
A ses yeux, à ses mains, à son étoile, aux cieux,
Mais lui, le coeur meurtri par de mortes chimères,
Gardant leur bec pourri planté dans ses amours,
Pour un baiser viril, ô beautés éphémères,
Vous sauvera sans doute au seuil du dernier jour.
Le rire sur sa bouche écrasera des fraises,
Ses yeux seront marqués par un plus pur destin.
C’est Bacchus renaissant des cendres et des braises,
Les cendres dans les dents, les braises dans les mains.
Mais pour un qui renaît combien qui, sans mourir,
Portent au coeur, portent aux pieds de lourdes chaînes.
Les fleuves couleront et les morts vont pourrir…
Chaque an reverdira le feuillage des chênes.
[…]
Robert Desnos, Fortunes, Paris, Poésie / Gallimard, 1945, p. 37-38
(1900-1945)
Un livre déniché providentiellement dans une boîte à livre il y a une semaine.
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