– Asseyez-vous, Alise, dit Colin. Venez à côté de moi, vous allez me dire ce qu’il y a.
– Chick est bête, dit Alise. Il dit qu’il a tort de me garder avec lui puisqu’il n’a pas d’argent pour me faire vivre bien, et il a honte de ne pas m’épouser.
– Je suis un salaud, dit Chick.
– Je ne sais pas quoi vous dire, dit Colin.
Il était si heureux que ça lui faisait énormément de peine.
– Ce n’est pas surtout l’argent, dit Chick. C’est que les parents d’Alise ne voudront jamais que je l’épouse, et ils auront raison. Il y a une histoire comme ça dans un des livres de Partre.
– C’est un livre excellent, dit Alise. Vous ne l’avez pas lu, Colin ?
– Voilà comme vous êtes, dit Colin. Je suis sûr que tout votre argent continue à y passer.
Chick et Alise baissèrent le nez.
– C’est ma faute ! dit Chick. Alise ne dépense plus rien pour Partre. Elle ne s’en occupe presque plus depuis qu’elle vit avec moi.
Sa voix contenait un reproche.
– Je t’aime mieux que Partre, dit Alise.
Elle allait presque pleurer.
– Tu es gentille, dit Chick. Je ne te mérite pas. Mais c’est mon vice, collectionner Partre, et malheureusement un ingénieur ne peut pas se permettre d’avoir tout.
– Je suis désolé, dit Colin. Je voudrais que tout aille bien pour vous. Vous devriez déplier votre serviette.
Il y avait, sous celle de Chick, un exemplaire relié mi-mouffette du Vomi, et, sous celle d’Alise, une grosse bague d’or en forme de nausée.
– Oh !… dit Alise.
Elle mit ses bras autour du cou de Colin et l’embrassa.
Boris Vian, L’Écume des jours, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1963. In Romans, nouvelles et oeuvres diverses, Paris, Librairie Générale Française, La pochothèque, 1991, p. 93-94
Boris Vian (1920-1959) est mon premier auteur préféré. C’est celui qui m’a fait découvrir la fantaisie de l’écrit et les pensées créatrices. Plein d’informations sur borisvian.org.
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